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Channel: Observatoire de la vie politique turque » Derviş Eroğlu
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L’élection de Mustafa Akıncı rebat les cartes à Chypre

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RTCN1Depuis la partition de Chypre en 1974 et l’auto-proclamation d’une République turque de Chypre du nord (RTCN) en 1983, les leaders grecs et turcs de l’île d’Aphrodite ont souvent étalé leurs différends publiquement, à l’occasion de joutes verbales mémorables. Célèbre entre toute, la rivalité qu’entretinrent dans les années 2000, Tassos Papadopoulos et Rauf Denktaş, leur valut les surnoms de «Mister No» et «Mister Never». Or, après l’élection à la présidence de la RTCN de Mustafa Akıncı, le 26 avril dernier, force est de constater qu’un nouveau type de polémique chypriote est en train de voir le jour, puisqu’une passe d’arme sérieuse a opposé d’emblée le nouveau chef d’Etat chypriote turc à son homologue turc, Recep Tayyip Erdoğan.

L’origine de cette querelle n’est pas une broutille. Les deux leaders n’ont en fait pas du tout la même vision de la nature des relations entre la Turquie et la RTCN. Interrogé dès le 27 avril, parRTCN2 la presse sur le sujet, et plus particulièrement sur la conception que se fait de ces relations Mustafa Akıncı (un rapport «entre frère et sœur» plutôt qu’un lien «entre l’enfant et sa mère Patrie»), Recep Tayyip Erdoğan n’a pas mâché ses mots à l’adresse du nouveau président : «Est-ce que ses oreilles entendent seulement ce qu’il raconte ? Même travailler ensemble comme des frères se fait à certaines conditions. Nous avons payé le prix fort pour Chypre. Nous avons eu des martyrs et nous continuons à payer… Pour la Turquie, la RTCN RTCN22est un bébé. Nous continuerons donc à l’accompagner comme une mère prend soin de son bébé.» Loin de mettre un terme à la polémique, cette mise au point du président turc n’a fait que relancer les débats, puisque le président chypriote turc n’a pas tardé à réagir. «Est-ce que la Turquie ne veut pas que son bébé grandisse ? Est-ce que nous devrons toujours rester un bébé ? », a dit Mustafa Akıncı, en maintenant sa déclaration initiale, et en expliquant qu’elle n’était «pas seulement parfaitement perçue par ses oreilles», mais qu’elle lui était «dictée par sa conscience, son cœur et sa raison.»

Si l’on espère que le résultat de l’élection présidentielle dans le nord de Chypre permettra de relancer les négociations entre les parties grecque et turque de l’île, cette polémique indique aussi que la récente modification du paysage politique chypriote turc peut accroître la complexité d’une situation déjà passablement embrouillée, depuis des années. Revenons donc sur cette élection présidentielle chypriote turque et sur les conséquences qui peuvent être les siennes.

La victoire de Mustafa Akıncı

Tout avait cependant fort bien commencé, puisque le 26 avril, Recep Tayyip Erdoğan, avait adressé un message de félicitations à Mustafa Akıncı. Il faut dire que la victoire de ce dernier a été nette etRTCN3 sans bavure (60,3%), puisqu’il a largement triomphé dimanche du président sortant (39,6%), le conservateur nationaliste, Derviş Eroğlu (photo à droite). Le premier tour de cette élection présidentielle avait d’ailleurs laissé peu de chances à Eroğlu, bien qu’il soit arrivé en première position avec 28,15%. RTCN5Mustafa Akıncı, candidat indépendant de gauche, ancien maire de la partie turque de la capitale de l’île, Nicosie, avait en effet déjà obtenu 26,94%, le reste des suffrages s’étant porté sur des candidats peu favorables au président sortant : Sibel Siber (photo à gauche), présentée par le parti républicain turc (CTP –Cumhuriyetçi Türk Partisi, formation laïque, social-démocrate, proche du CHP turc) avait été créditée de 22,53% des voix ; Kudret Özersay, un candidat indépendant, ex-négociateur en chef de la RTCN avec la partie grecque de l’île, démis de ses fonctions par Derviş Eroğlu après l’annonce de sa candidature à la présidentielle, avait réalisé, quant à lui, un score de 21,25%.

Deux visions politiques de l’avenir de la RTCN

Au-delà des conflits partisans et des querelles de personne, il faut voir que cette élection présidentielle a opposé deux visions politiques de l’avenir de Chypre du nord. Issu du courant nationaliste initié par Rauf Denktaş (le fondateur et le premier président de la RTCN) dans les années 1980, Derviş Eroğlu a en effet prôné pendant sa campagne la fermeté dans les négociations avec la partie grecque, et la préservation d’une relation de proximité avec Ankara. Pour sa part, Mustafa Akıncı a défendu l’idée d’une accélération du règlement du différend avec les Chypriotes grecs et celle de rapports moins étroits avec la Turquie. Il a fait, par ailleurs, une série deRTCN7 propositions concrètes de coopération avec la partie grecque : création d’un réseau téléphonique commun, mise en place de nouveaux check points entre le nord et le sud de l’île, et surtout réouverture de la station balnéaire de Varosha, le quartier moderne de Famagouste, devenu une sorte de ville fantôme où la nature a repris ses droits, depuis l’intervention turque de 1974. Placée sous le contrôle des Nations Unies, la réouverture de la station balnéaire en question (délaissée par sa population grecque parce qu’intégrée à la zone turque), a ainsi été présentée, par le candidat Akıncı, comme le possible ban d’essai de la réunification de l’île, qui permettrait aux deux communautés de réapprendre à vivre et à travailler ensemble. Un tel projet, en revanche, a été totalement rejeté par Derviş Eroğlu, qui y a vu le début d’un abandon de Famagouste, une ville dont la dimension symbolique est très forte pour les Turcs, depuis l’intervention de 1974. Toutefois, les différences programmatiques entre les deux hommes ne s’arrêtent pas à ces considérations stratégiques opposées sur le règlement de la question chypriote, mais concernent aussi des problèmes de société. Mustafa Akıncı s’est ainsi montré très ouvert à la reconnaissance de droits nouveaux, entre autres pour les femmes et les homosexuels.

Sortir de l’ornière un conflit chypriote fossilisé

L’élection du candidat indépendant de gauche, attendue depuis les résultats du 1er tour de scrutin, est bien sûr tout de suite apparue comme une opportunité pour relancer des pourparlers enlisés depuis plusieurs mois entre les communautés chypriotes grecque et turque. Avant même le résultat final, le président grec chypriote, Nicos Anastasiades, avait affirmé : «Si Mustafa Akıncı est élu, je suis prêt à discuter avec lui de la réouverture de Varosha.» Il s’est donc réjoui de son élection dimanche, en déclarant : «Finalement, nous avons bon espoir que ce pays pourra être réunifié.»

Il ne faut pourtant pas oublier que le conflit chypriote est un problème qui s’est fossilisé maintenant depuis plus de 40 ans, et que beaucoup d’occasions de le résoudre ont été manquées. Rappelons en l’occurrence quelques hauts faits de la dernière décennie… En avril 2004, le plan RTCN8Annan, élaboré sous l’égide des Nations Unies, qui prévoyait la création d’une «République de Chypre unie» (organisée sur une base fédérale, permettant de représenter les deux communautés), est rejeté, à l’issue d’un référendum, par un vote négatif des Chypriotes grecs (75,83%), alors même que les Chypriotes turcs ont voté majoritairement en sa faveur (64,90%). Ce rejet conduit à l’entrée d’une île de Chypre divisée dans l’Union européenne, quelques mois plus tard. Il est vrai que la présence aux commandes de deux leaders nationalistes, les fameux «Mr. No» and «Mr. Never», n’a pas facilité l’entreprise. Toutefois, l’élection en avril 2005, à la présidence de la RTCN de Mehmet Ali Talat, le leader du parti turc républicain, qui avait été l’artisan du «oui» chypriote turc majoritaire au plan Annan, au cours de l’année précédente, relance les espérances. On croit même voir le bout tunnel, lorsqu’en février 2008, le communiste Demetris Christofias est élu à laRTCN9 présidence de la République de Chypre (partie grecque). En effet, les deux présidents désormais en fonction se connaissent bien. Dans leur jeunesse, ils ont milité ensemble au sein du parti communiste (unifié) chypriote. On pense alors être en présence d’une opportunité exceptionnelle pour promouvoir un règlement de la question chypriote (cf. nos éditions du 19 février 2008 et du 9 avril 2008) . Et de fait, au départ, le processus semble fonctionner. En avril 2008, le check point de la rue Ledra est rouvert à Nicosie, amorçant un début de réunification de la capitale chypriote divisée (cf. notre édition du 18 juin 2009). Des négociations entre les deux communautés de l’île reprennent en juin suivant, mais elles s’avèrent vite poussives, les deux protagonistes butant sur les éternels problèmes : forme politique de l’Etat chypriote réunifié, indemnisations des Chypriotes grecs spoliés de leurs biens lors de l’intervention turque de 1974… Alors que le processus s’éternise, Mehmet Ali Talat, perd de l’influence. En mai 2009, le parti nationaliste (UBP – Ulusal Birlik Partisi – Parti de l’unité nationale) fondé par Rauf Denktaş l’emporte aux élections législatives, obligeant Mehmet Ali Talat à nommer premier ministre un dirigeant de cette formation politique, Derviş Eroğlu. Ce dernier est ensuite élu à la présidence de la RTCN, en avril 2010. Le règlement de la question chypriote semble de nouveau voué à une impasse.

Pourtant, le nouveau président chypriote turc annonce son intention de reprendre l’œuvre constructive de son prédécesseur. Les négociations se poursuivent donc, sans paraître devoir aboutir à brèves échéances pour autant. Elles sont néanmoins interrompues par l’exercice de la présidence tournante de l’Union européenne par Chypre, au cours du 2e semestre de l’année 2012. RTCN10Entretemps, la découverte d’importantes ressources gazières au large de l’île et l’annonce par la partie grecque de son intention de les exploiter sans tarder, complexifient la recherche d’un règlement. Les premières prospections engagées voient la Turquie riposter par des initiatives maritimes d’intimidation (patrouilles de navires de guerre, envoi d’un navire turc de prospection). La partie grecque de Chypre est en outre sévèrement touchée par la crise de sa dette publique et plongée dans une situation comparable à celle des autres pays du sud de l’Europe. Pour finir, le président chypriote grec change, avec l’élection en février 2013 du conservateur Nicos Anastasiades. En octobre 2014, après des tensions provoquées par le problème de l’exploitation de la nouvelle manne gazière chypriote, les négociations sont de nouveau interrompues. La question chypriote semble ne pas devoir trouver de solution. L’élection de Mustafa Akıncı sort donc la recherche d’un règlement pour l’île de l’ornière dans laquelle elle est tombée au cours des dernières années. Mais il faudra vite que des résultats concrets soient au rendez-vous, sous peine de voir les différents protagonistes du conflit rejouer un scénario souvent vécu au cours de la dernière décennie.

Le bébé chypriote turc, ses frères grecs et sa maman turque…

Le 28 avril, le président chypriote grec, Nicos Anastasiades (photo à droite), a annoncé qu’il rencontreraitRTCN11 prochainement le nouveau président chypriote turc (le 2 mai). Cette nouvelle conforte les espoirs d’une accélération des pourparlers entre les deux parties de l’île pour aboutir à une réunification. L’élection d’un président modéré chypriote turc, qui affiche sa volonté d’aboutir à un accord, place pourtant son homologue chypriote grec au pied du mur. Ce dernier est-il politiquement en mesure de relever ce défi, en faisant en retour des gestes suffisamment convaincants pour créer un climat de confiance renouvelé ? Souvent par le passé, lorsqu’une ouverture s’est faite d’un côté, elle s’est heurtée à une fin de non recevoir de l’autre…

Il faudra aussi observer la réaction d’Ankara. En 2010, l’arrivée à la présidence du nationaliste Derviş Eroğlu était apparue comme un coup porté à la politique chypriote du gouvernement de l’AKP, ouverte à la recherche d’un règlement, et en tout cas moins rigide que celle de ses Greek Prime Minister and Cypriot President in Egyptprédécesseurs, très influencés généralement par les positions de l’armée. Or, au cours des dernières années, la politique étrangère turque s’est indiscutablement durcie dans la région. De surcroît, dans ses velléités d’exploitation gazière, Chypre (grecque) a reçu le soutien d’Israël et surtout dernièrement celui de l’Egypte d’Abdel Fattah al-Sissi, deux pays avec lesquels la Turquie entretient des relations désormais difficiles. Eu égard à ce changement de décors, la rigidité du conservateur Eroğlu a été de mieux en mieux perçue par Ankara. L’élection d’Akıncı rebat ainsi les cartes, et si la Turquie se dit toujours favorable officiellement à la recherche d’une solution, elle s’inquiète probablement de la nouvelle donne qui est en train de s’affirmer en l’occurrence. On observera d’ailleurs que Recep Tayyip Erdoğan a félicité Mustafa Akıncı pour son élection, mais qu’il l’a également mis en garde d’emblée contre la tentation «de rechercher une solution à n’importe quel prix.»

Alors même qu’un premier accrochage a opposé le président turc et son homologue chypriote turc, au sujet de la nature des relations qui doivent être celles des deux Etats, on peut se demander quelle est la marge de manœuvre du second à l’égard du premier. Loin de n’être qu’une illustration pure et simple de la rivalité gréco-turque, le conflit chypriote se traduit aussi par des rapports parfois houleux, tant entre Athènes et la partie grecque de l’île, qu’entre Ankara et les Chypriotes turcs. On se souvient notamment qu’au début de l’année 2011, une grève des fonctionnairesRTCN13 chypriotes turcs, protestant contre la réduction des crédits annuellement alloués par Ankara à la RTCN, avait provoqué la colère de Recep Tayyip Erdoğan, qui était allé jusqu’à déclarer qu’il était inconcevable que «des gens nourris par la Turquie se comportent de la sorte». L’audace du nouveau président chypriote turc dans la recherche d’une solution négociée au conflit chypriote pourrait donc être tempérée par les positions plus mitigées d’Ankara, qui maintient toujours un contingent militaire important sur l’île et dont le soutien, tant financier que politique, au petit Etat auto-proclamé chypriote turc, reste essentiel. Il reste que ce dernier a souvent montré des velléités d’autonomie au cours de la dernière décennie. En 2004, il se serait bien vu entrer dans l’Union européenne, ce que ses frères chypriotes grecs n’ont pas accepté, aujourd’hui, il souhaite à nouveau sortir de son isolement, ce que sa maman turque n’est pas prête à accepter à n’importe quelles conditions. Mustafa Akıncı aura donc probablement l’occasion de constater sans tarder à quel point la voie est étroite pour ce bébé chypriote turc qu’il aspire pourtant à voir grandir…

JM


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